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La culture depuis Saturne
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Hunger Games

Hunger Games

Sur la littérature de genre et la trilogie littéraire de Suzanne Collins.
Hunger Games

Dans notre article sur "2084 – la fin du monde" de Boualem Sansal (Gallimard, 2015), nous faisions état de la commercialisation de ce livre sans l'étiquette de genre qui aurait restreint sa vente – la science-fiction demeurant malheureusement un genre mal perçu, voir méprisé. Il est étonnant de constater que, si l'étiquette tombe, les ventes grimpent, car débarrassées des mots qui inquiètent ("Science", "Anticipation", "Heroic Fantasy", "Utopie/Dystopie") et des couleurs froides et synthétiques des couvertures. Peu de libraires ou de bibliothécaires s'attaquent à la valorisation de cette collection pourtant riche d'auteurs célèbres, même si, il faut en convenir, le regard élitaire sur la littérature de genre s'est considérablement et heureusement émoussé ces dernières années.

Malgré tout, il suffit de faire le tour de la plupart des librairies généralistes et des bibliothèques territoriales pour remarquer que la marginalisation des genres dits "populaires" a la vie dure. En effet, s'il on excepte les librairies de grande consommation et les librairies spécialisées, les collections liées à la Science-fiction, aux Mangas, aux Comics, à l’Érotisme, à la littérature Jeunes Adultes et Adolescente, voir encore au Polar, se trouvent être soit absentes, soit dévalorisées, soit restreintes aux meilleures ventes.

Difficile de faire état d'une jeunesse qui aime lire lorsque ses lectures sont ainsi méprisées, difficile de parler avec bonheur du mouvement "Booktuber" – de jeunes adultes chroniquant avec passion l'actualité littéraire sur YouTube – lorsque les livres ainsi chroniqués échappent au regard élitaire et à cette fameuse littérature dite "majeure". Il est de toute façon de bon ton, pour les médias traditionnels, de voler dans les plumes de ce qui chronique, expérimente, vulgarise et commente sur la toile.

Ce mépris a la vie dur et c'est pourquoi il faut continuer de chroniquer, expérimenter, vulgariser et commenter sur ce qui nous passionne et nous bouleverse.

Nous allons maintenant parler d'un succès littéraire de ces dernières années écoulé à plus de 26 millions d'exemplaires, publié entre 2008 et 2010 aux États-Unis et entre 2009 et 2011 en France dans une traduction de Guillaume Fournier, adapté en une série de 4 films et appartenant au genre "Jeunes Adultes" mais également à la Science-fiction dystopique, nous allons parler de la trilogie de Suzanne Collins : "Hunger Games".

Suzanne Collins, auteure américaine, écrit, notamment pour la jeunesse, depuis de nombreuses années lorsqu'elle décide de s'atteler à l'histoire éprouvée de l’arène où tributs s'affrontent à mort pour contenter la cité état décadente. Le monde de Panem est ainsi organisé en 13 Districts – chaque District ayant son domaine de production – reliés et alimentant le Capitole en nourriture et matière première. La pauvreté et l'insalubrité de ces Districts amènent une révolte infructueuse qui verra la destruction du District 13 et l’aménagement des jeux de la faim ("Hunger Games") dont le principe est simple : chaque été, un tirage au sort a lieu dans chaque District pour sélectionner un homme et une femme âgé entre 12 et 18 ans ; les 24 concurrents doivent se battre à mort dans une arène contrôlée et filmée par le Capitole jusqu'à ce que l'un d'entre eux survive. Ces tributs sont à la fois des sacrifiés pour avoir osé la révolte et demeurent un amusement, des paris possible, des fantasmes... pour les habitants du Capitole.

Haymitch m'empoigne par les épaules et me plaque contre le mur.
_ On s'en fiche ! Ce n'est que du spectacle. Ce qui compte, c'est la manière dont les gens te perçoivent.

vol.1 (poche) p.154

Les 74èmes jeux vont commencer et c'est Primrose Everdeen, du District 12 – le District de l'extraction du charbon - qui est tirée au sort pour aller dans l’arène jusqu'à ce que sa grande sœur, Katniss Everdeen, se porte volontaire à sa place et se retrouve en compétition avec Peeta Mellark. Ils ne se connaissent pas directement mais Katniss se souvient avoir été prise en pitié par le jeune homme alors qu'elle mourrait de faim dans la rue.

C'est aussitôt l'heure des adieux, Katniss embrasse sa petite sœur, demande à sa mère de veiller sur elle et quitte son meilleur ami, Gale, avec qui elle chasse clandestinement depuis la mort de son père dans les mines.

Le spectacle commence, les caméras tournent. Les deux tributs sont débarqués au Capitole pour être lavés, maquillés, habillés et interviewés. Alors que Katniss ne sait pas comment se comporter devant le public, Peeta déclare avec tristesse, qu'il va devoir concourir avec la personne qu'il aime secrètement depuis l'enfance. C'est à cet instant que la trilogie de Suzanne Collins prend véritablement son envol : que penser de cette révélation publique ? Est-ce une stratégie pour s'attirer les bonnes grâces de l'audience et ainsi récolter des cadeaux durant l'épreuve ? Ou est-ce sincère ? ... Chaque action de Peeta sera ainsi analysée par Katniss, leur relation sera stratégique et hautement médiatique.

 

Outre le combat pour la survie, le triangle Katniss/Peeta/Gale, l'embrasement d'une nouvelle révolte, c'est bien toute la réflexion, que mène Suzanne Collins, sur la propagande nécessaire et le paraitre devant les médias et devant le peuple, qui présentent le plus grand intérêt.

L'image que l'on donne volontairement et involontairement de soi aux autres – une jeune fille amoureuse, une femme éprise de justice, un symbole... - est ainsi sans cesse analysée, travaillée, fragilisée, stylisée, maquillée, mise en scène, fracturée, mise en abyme et modifiée pour servir une survie, une plus grande cause, un divertissement... Et c'est bien cette mise en scène perpétuelle et oppressante autour de soi qui grandit à chaque volume et qui cherche à anéantir toute humanité chez Katniss, qui cherche ainsi à la déposséder de toute intimité et de toute pensée.

 

La force de la trilogie de Suzanne Collins est qu'elle ne cesse de promettre une révolte (c'est le titre du volume 3), mais cette révolte, si elle pointe le bout de son nez à plusieurs reprises, est sans cesse décevante, illusoire et factice : Katniss débarque dans un district 13 eldorado pour mener le soulèvement mais il s'avère que le district en question use des mêmes armes que le Capitole et que la mise en scène doit se poursuivre ; Katniss se fraye un chemin délirant d'embuches pour tuer le Président Snow mais cette vengeance lui est refusée au profit d'une exécution publique, les caméras tournent encore. Et c'est finalement lors de cette exécution publique, que le seul geste d'une révolte effective va avoir lieu, c'est-à-dire un refus, un sursaut de résistance qui enrayera enfin cette mise en scène compulsive de l'individu – cet appareil de torture, qui, à force de surveiller et de retransmettre nos moindres gestes, nous abrutie et nous brise.

 

Pour ne rien gâter, l'écriture de Suzanne Collins est élégante, sa narration est addictive et aborde la violence des jeux ainsi que les manipulations politiques et médiatiques sans aucun détour. Certaines scènes d'action sont toutefois maladroites mais c'est bien peu de défauts pour une trilogie qui ne cesse de s'améliorer et de surprendre par ses thématiques comme la dictature de l'image ou l'abrutissement des masses.

 

 

Il est regrettable de constater l'absence de critique littéraire professionnelle en ce qui concerne cette trilogie littéraire alors que cette même presse se déverse sur son adaptation cinématographique (relativement médiocre par ailleurs) et sur le phénomène de vente – c'est le même constat que nous pouvons faire sur la saga "Harry Potter" de J.K. Rowling.

Là où le cinéma de genre n'est en rien méprisé (bien au contraire), la littérature de genre est ainsi négligé. Ce regard élitaire continuera de porter préjudice aux bibliothèques et aux librairies, c'est bien dommage.