Suite à l'article sur le livre incendiaire de Virgile Stark : "Crépuscule des Bibliothèques".
Parce que ce livre, à l'argumentaire dommageable, met le doigt où l'absence de débat fait mal, essayons de démêler un peu les fils de cette sombre histoire.
Si l'on se base sur le dossier de la revue Archimag (n°283, avril 2015) dévolu au livre numérique en bibliothèque, nous pouvons constater en premier lieu la récurrence de ce constat : le marché du livre numérique en France est embryonnaire, 4,1% du chiffre d'affaires net des éditeurs. Et il est vrai que ce marché n'a pu jouir, dans notre pays, que d'une curiosité de la part des gens, une curiosité vite étanchée et délaissée pour revenir au livre papier. Nous pouvons ajouter à ce premier constat les multiples études effectuées sur la liseuse (l'écran numérique en général) : c'est écologiquement et financièrement (pour les usagers) nettement moins intéressant que le livre papier en plus d'être mauvais pour la mémoire, le sommeil, mais efficace lorsque l'on est mal voyant ou que l'on souffre de troubles de la lecture.
Nous pourrions donc en rester là et conclure que le livre numérique peut avoir sa place dans la bibliothèque comme outil d'accompagnement des usagers au même titre que l'audiolivre ou que le livre à gros caractères.
Mais nous ne pouvons en rester là si le ministère de la Culture demande, exige, un passage exclusif au numérique de la part des bibliothèques, qu'elles soient territoriales ou universitaires. Et ceci malgré plusieurs expériences menées en Belgique ou en Suisse où on peut constater le faible engouement de la part des usagers.
Le choix est finalement celui-ci et peut paraitre emphatique, car il s'agit soit d'une acceptation peut-être crédule, soit d'une résistance peut-être obtuse. Et si la résistance peut entrainer le dépeuplement catastrophique des bibliothèques, quid de l'acceptation ? Voilà l'inconnu qu'il va falloir explorer.
A-t-on besoin du livre numérique ? Nous l'avons dit, c'est un outil intéressant dans l'accompagnement des usagers pour les bibliothèques territoriales qui se sont donné cette mission d'accompagner (on parle de politique d'inclusion) l'usager du plus jeune âge à la vieillesse et dans ses éventuels handicaps. Dans cette optique, le livre numérique est une aide complémentaire au livre papier.
La situation est tout autre en ce qui concerne la bibliothèque universitaire qui se doit de pouvoir mettre à disposition les ouvrages demandés par les professeurs à leurs étudiants, mais comment mettre à disposition une centaine d'exemplaires d'un seul ouvrage pour honorer cette demande ? Il est vrai que le numérique semble être une solution adaptée à l'espace de travail universitaire. Mais s’engouffrer dans cette voie reviendra à terme à proposer un simple catalogue en ligne où toute opération de prêt pourra se faire depuis son domicile et à ce moment-là, est-ce que l'espace de travail collectif et social qu'offre la bibliothèque résistera ?
La bibliothèque accuse une baisse en ce qui concerne la consultation et l'emprunt d'ouvrages, cette baisse peut également se remarquer dans le commerce et la lecture des livres : 74% des Français ont lu au moins un livre en 1997 contre 69% en 2014. Mais comment peut-il en être autrement alors qu'entre 1997 et aujourd'hui, le numérique a eu loisir d'envahir nos vies ? Face aux smartphones, aux consoles de jeux nomades bien plus sophistiquées et à Internet, ce pourcentage en baisse est loin d'être alarmant ou inexplicable.
Mais la bibliothèque reste un lieu de travail, un lieu de rencontres et d'évènements. Si les livres disparaissent des étagères, plus besoin d'étagères ; si les emprunts peuvent se faire à domicile alors est-ce que cet espace pourra résister, et il faut bien sûr comprendre : est-ce que cet espace sera encore viable financièrement ?
Si la bibliothèque s'effondre, c'est l'espace collectif qu'elle renferme qui disparait et c'est une vision bien sombre où on ne se rassemble que difficilement et où la solitude, pareil à l'Enfer pour Victor Hugo, se veut la marche à suivre.
Pour en revenir au livre de Virgile Stark, "Crépuscule des Bibliothèques", il n'est donc pas étonnant que l'auteur en vienne à faire référence au livre de Ray Bradbury, "Fahrenheit 451". Car ces perspectives pessimistes, ces solitudes à venir, se rapprochent, il est vrai, de certains romans dystopiques. Et l'actualité nationale où l'on met dans un grand sac le terrorisme, la peur, la sécurité, les étrangers, les religions, l'état d'urgence, la déchéance de la nationalité, l'extrême droite... ne fait que renforcer ce rapprochement peu enviable.