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La culture depuis Saturne
La culture depuis Saturne
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Himizu

Himizu

Himizu

Réalisé par Sion Sono en 2011.


 

Sion Sono est un réalisateur japonais né en 1961. Il dirige, dans les années 90 à Tokyo, le mouvement poétique GAGAGA qui performe sur le mal-être de la société, c'est pour mettre en avant sa poésie qu'il décide de réaliser des films, plus d'une vingtaine depuis son premier succès, Suicide Club, en 2001, film dont l'ouverture se veut le suicide collectif et joyeux de plusieurs jeunes filles.

Son cinéma est foisonnant et débordant, il aborde avec cynisme les travers de ses contemporains sans hésiter à faire exploser un cinéma de genre (comédie, drame, yakuza...), mêlant inserts de poèmes, musique classique, gore, sexe, grotesque, macabre, durée parfois étonnante (Love Exposure, en 2008, dure 4h) et délabrement des êtres.

En 2011, Sion Sono décide d'adapter le manga Himizu de Minoru Furuya, publié dans le Young Magazine entre 2001 et 2002. Le manga raconte la vie de Sumida, jeune homme dont la seule ambition est d'accepter une vie morne sans le moindre espoir car le bonheur ou le malheur ne concernent finalement qu'une minorité, la majorité étant condamné à ne rien se voir arriver jusqu'à la disparition dans le néant final. Il promène son cynisme et son mépris pour le genre humain, particulièrement les êtres habités par leurs rêves, de page en page et dans la relation qu'il entretient avec Sahazawa, sans aucun salut possible.

Sion Sono veut adapter ce manga à la noirceur éprouvante avec le plus de fidélité possible mais le 11 mars 2011, alors qu'il s’apprête à commencer son tournage, un séisme de magnitude 9 est à l'origine d'un tsunami qui ravage une partie du pays et entraine l'accident nucléaire de Fukushima. C'est un désastre sans précédent et une importante catastrophe économique, industrielle et écologique. Face à ce drame, Sion Sono décide de réécrire son adaptation pour répondre à l'actualité.

Lors de l'ouverture du film, Keiko Shazawa, superbement interprétée par la jeune actrice Fumi Nikaido, récite le poème médiéval Ballade des menus propos de François Villon, accompagnée par le Lacrimosa du Requiem de Mozart. Elle est sous la pluie, elle tient un parapluie d'une main, le livre de Villon de l'autre.

Le vers "Je congnois tout, fors que moy-mesme" (Je reconnais tout, sauf moi-même) se fait entendre à chaque fois dans un plan serré du visage de Shazawa , un regard caméra franc et douloureux. Par intermittence la caméra passe dans les décombres de Fukushima pour revenir sous la pluie battante, face au regard de la jeune fille. Le titre apparait sobrement dans les décombres, Himizu, la taupe, l'animal qui se terre dans l'obscurité. Nous restons dans les décombres, Yoruno – interprété par Watanabe Tetsu, un homme d'affaire qui a tout perdu dans la catastrophe, erre et contemple les ruines. Puis c'est la silhouette trainante et abattue de Sumida, interprété par Shota Sometani, que nous voyons errer, il s'arrête et remarque un vieux lave-linge éclaboussé de peinture verte, le lacrimosa a disparu sous des bruits de bombardements et crépitements Geiger affolés, Sumida soulève le capot de la machine et trouve un pistolet qu'il braque contre sa tempe, il fait feu. L'histoire commence.

Himizu

Sumida vit avec une mère souvent absente dans une petite maison de location de bateau, il permet à quelques personnes qui ont tout perdu après le 11 mars, dont Yoruno, de vivre dans des tentes près de la maison. Son père lui rend visite de temps à autre pour le tabasser et lui demander de l'argent pour acheter de l'alcool. Il s’apprête à quitter le collège pour reprendre la location de bateau et espère n'être ni heureux, ni malheureux et ainsi vivre comme une taupe, à l'écart.

Shazawa, elle, est fascinée par Sumida, obsédée par cette existence sans rêve ni ambition dont elle note chaque phrase entendue en classe ou glanée dans les couloirs, autant de maximes qui tapissent les murs de sa chambre. Elle s'abreuve de poésie alors que ses parents attendent son suicide et décide de tout faire pour sauver Sumida en lui redonnant un peu d'espoir.

Sion Sono détourne le manga pessimiste de Furuya pour faire de Himizu un film essentiel, inscrit dans une actualité difficile. Il fait dialoguer l'adulte, au travers de Yoruno, de son professeur de collège... qui tentent désespérément de se relever, et l'adolescent, au travers de Sumida qui ne croit plus en rien et ne désire pas devenir adulte dans cette réalité, c'est-à-dire prendre les responsabilités de cette réalité et cesser de se terrer dans l'obscurité. Shazawa est le personnage que Sono choisi pour apporter l'espoir et ça n'a rien d'étonnant tant ce personnage semble définir son cinéma : débordant, presque hystérique, amoureux de poésie, sans concession..

C'est un film éprouvant par sa noirceur et son désespoir mais essentiel et superbe par le cri rageur qu'il pousse, Himizu est bel et bien un cri, une réaction brute. Et pour interpréter Sumida qui se couvre de peinture pour crier, Shota Sometani est un jeune acteur impressionnant que l'on reverra par la suite dans le cinéma de Sono, un cinéma malheureusement et honteusement trop peu connu en France.

Himizu