«Nous apprenons très peu ici, on manque de personnel enseignant, et nous autres, garçons de l'Institut Benjamenta, nous n'arriverons à rien, c'est-à-dire que nous serons plus tard des gens très humbles et subalternes.» Dès la première phrase, le ton est donné. Jacob von Gunten a quitté sa famille pour entrer de son plein gré dans ce pensionnat où l'on n'apprend qu'une chose : obéir sans discuter. C'est une discipline du corps et de l'âme qui lui procure de curieux plaisirs : être réduit à zéro tout en enfreignant le sacro-saint règlement. Jacob décrit ses condisciples, sort en ville, observe le directeur autoritaire, brutal, et sa sœur Lise, la douceur même. Tout ce qu'il voit nourrit ses réflexions et ses rêveries, tandis que l'Institut Benjamenta perd lentement les qualités qui faisaient son renom et s'achemine vers le drame.
Source de l'éditeur (Gallimard, collection L'imaginaire)
Bérangère Vantusso adapte ainsi « L'institut Benjamenta » de l'écrivain suisse Robert Walser, son troisième et dernier roman écrit en 1909 au sein d'une œuvre qui fourmille de nouvelles et de poèmes.
Bérangère Vantusso travaille l'art de la marionnette depuis 1998, ici, ce sont des bustes d'enfants hyperréalistes qui sont manipulés par les comédiens également personnages. Marionnettistes et marionnettes se mêlent et se démêlent avec élégance et précision là où, traditionnellement, le ou les marionnettistes doivent s'effacer derrière la marionnette.
L'institut est un plateau de bois clair où tout mobilier glisse, tourne, se déplie pour accueillir les innombrables bustes d'enfants qui représentent tous ce rien et ce tout.
Jacob est un enfant qui veut être réduit à zéro, un automate qui, à l'image de ses condisciples, égrène des politesses convenues et creuses de laquais.
Jacob est également un enfant qui se pose des questions avec arrogance et défi, le petit nouveau de l'institut qui remet en cause les règles et l'instruction, l'exact opposé de Kraus qui est l'enfant modèle, l'automate parfait, le zéro exacte.
Jacob qui est rien et tout, marionnette et marionnettiste, est pris d'amitié par le directeur Benjamenta, un homme colérique qui était autrefois tout et qui aujourd'hui n'est plus rien.
Les deux rêvent de désert à arpenter, ils rêvent que tout est possible alors que l'espace se déconstruit, se vide, on range les marionnettes dans leurs boites en carton, on tire les rideaux couleur crème ; il ne reste plus que ce bois clair et lisse, bombardé de lumière : un désert où tout peut advenir.
C'est un beau travail que nous livre Bérangère Vantusso, un travail empreint de douceur et de poésie où le drame et la mort apparaissent en vague noire qui engloutie tout, où l'espace vidé demeure un lieu de possibles.