"Vers le soir il atteignit le haut de la montagne, à travers l'étendue neigeuse par où l'on redescendait vers l'ouest dans la plaine, et s'assit au sommet. Vers le soir le temps s'était calmé ; les nuages restaient immobiles, accrochés au ciel, et si loin que le regard se portât, rien que des cimes d'où descendaient de larges pentes, et tout si calme, gris, crépusculaire ; une terrible impression de solitude s'empara de lui, il était seul, tout seul, il voulait parler avec lui-même sans y parvenir, il osait à peine respirer, le mouvement de son pied retentissait comme un tonnerre au-dessous de lui, il dut s'asseoir ; une angoisse sans nom le saisit dans ce néant, il était dans le vide, il se releva d'un bond et dévala vers le bas."
Lenz, Büchner, in "La mort de Danton, Léonce et Léna, Woyzeck, Lenz", GF Flammarion, 1997, p196-197
"Lenz" est une nouvelle de Büchner écrite en 1835 qui s'inspire de la vie du dramaturge et poète allemand Jakob Michael Reinhold Lenz, l'un des principaux représentants du mouvement littéraire Sturm und Drang (tempête et passion) qui nait à la fin du 18ème siècle notamment grâce à Goethe. Ce mouvement s'inscrit dans un rejet d'une société jugée dépassée et pourrissante et dans un avenir inconnu et trouble. Il dépeint généralement un individu qui brûle de liberté alors enfermé dans un carcan social ou religieux.
En 1777, Lenz, souffrant de démence, est envoyé dans le Ban de la Roche chez le pasteur Jean-Frédéric Oberlin. C'est cet épisode que relate Büchner en faisant état des tumultes et accès de liberté qui agitent Lenz face à la famille du pasteur et à leur vie réglée religieusement.
Cornelia Rainer, metteuse en scène autrichienne, adapte la nouvelle de Büchner en se basant également sur les écrits de Lenz et le journal du pasteur Oberlin qui relate l'arrivée de cet énergumène. Nous sommes alors moins dans le Sturm und Drang de Lenz que dans ce qui va bousculer la vie d'une famille pieuse.
Sur le plateau les montagnes russes, attraction en bois impressionnante et massive qui fait montagne, sommet inatteignable mais également chapelle qui abrite la cloche qui rassemble les fidèles et qui alerte des dangers environnants. Le sommet que cherche à atteindre Lenz dans son désir de liberté et d'affranchissement est donc également ce qui rassemble pour la prière et l'ordre. Double discours de la scénographie, le double discours c'est ce qui tiraille et qui rend fou : Lenz ainsi écartelé entre la prière et la tempête, entre l'ordre et la passion.
Sur le plateau les montagnes russes, attraction en bois que l'on martèle et qui devient batterie massive pour le percussionniste Julian Sartorius : partition libre qui vient s'opposer aux chants religieux de la famille du pasteur.
Sur le plateau les montagnes russes, attraction en bois mais l'attraction c'est bien cet étranger que l'on accueille et qui bouleverse les habitudes et qui inquiète, qui se fait chariot embarqué sur les rails à vive allure au risque de sauter, de vriller et de se faire dégager par cette famille protestante.
Un beau travail que ce "Lenz" à l'architecture inventive, l'endroit d'une halte pour un homme angoissé que le silence empêche de dormir et pour qui son existence est un fardeau nécessaire.