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La culture depuis Saturne
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Place des héros / Krystian Lupa (Bilan 2/2)

Place des héros / Krystian Lupa (Bilan 2/2)

Place des héros / Krystian Lupa (Bilan 2/2)

La place des héros de Vienne, là où Hitler fut acclamé pour son discours d'annexion de l'Autriche en 1938.

En 1989, Thomas Bernhard publie sa pièce "place des héros" pour les 50 ans de cette annexion.

Le professeur Schuster et sa femme Hedwige vivent dans un appartement qui donne sur la place des héros mais Hedwige entend les clameurs de son pays au discours d'Hitler.

Personne ne les entend, elle les entend.

Ces crises poussent le couple à partir pour Oxford mais, la veille du départ, le professeur se défenestre place des héros.

Acte I : la gouvernante et la bonne ressassent des souvenirs du mort, cirent ses pompes et repassent ses chemises, les mains tremblent à chaque geste, le costume du mort est épousseté continuellement, déplacé avec gêne.

Il y a des cartons estampillés "Oxford", un lieu où on ne va plus.

L'appartement est presque vide, c'est un lieu où on ne vit plus.

Lupa commence par poser son cadre : l'appartement est immense, haut de plafond, de grandes fenêtres, les murs sont abîmés et délavés. C'est un lieu qui n'existe plus car en déménagement qui lui-même n'existe plus, c'est un non-lieu, un lieu mort. La fin de l'acte voit de la lumière venir se poser sur les contours de cette boite qui fait scène, ainsi Lupa pose effectivement un cadre, il délimite pour faire exister une boite creuse, il évide, il racle.

Acte II : Suite à l'enterrement, les deux filles du mort écoutent le frère du mort qui parle alors de la corruption de son pays, de l'Europe, de la classe politique. Discours véhément sur tout ce qui bouge, vomit avec cynisme.

On projette des arbres, un château, un terrain pas vraiment discernable sur les murs. Il y a un banc en avant scène.

Un extérieur hivernal et flou.

Durant le discours cynique de l'oncle, Lupa allume les projecteurs sur le public, les trois personnages finiront par sortir du cadre et de la boite pour être dans notre boite à nous. L'acte se termine par le remplacement de ce qui était cet extérieur hivernal par les gradins d'une salle vide.

Acte III : Le repas de retour à l'appartement Viennois où les convives attendent l'arrivée d'Hedwige ainsi que du fils du mort. Discours cynique de nouveau, discours puant, méprisant, hautain qui ne cessera pas. Hedwige arrive et on commence à manger mais son visage se fige et est broyé par l'angoisse alors qu'elle entend les clameurs à travers les fenêtres qui donnent sur la place des héros, des clameurs qui se font assourdissantes jusqu'à ce que ces fenêtres explosent et que le spectacle se termine sous les ovations d'un public debout.

Lupa nous montre en spectacle la putréfaction car tout sent la mort et chaque discours se fait au mort dans un lieu mort, hivernal : une boite creuse, un cercueil où les vers remuent leur cynisme. Lupa va plus loin en faisant un jeu de miroir durant l'acte II alors qu'une salle apparait sur les murs du cercueil : nous sommes complices.

Mais voilà l'écueil : au cynisme de l'oncle répond le rire du public, si l'oncle vomit le premier ministre, le public rit de Manuel Valls, si l'oncle vomit le socialisme devenu capitalisme gras et laid, le public rit du réel.

Rire cynique et ovation douteuse. A croire que le public s'en fout.

A ce dernier spectacle vu le dernier jour de ce festival, je repense au premier spectacle vu le premier jour de ce festival : "Les Damnés" d'Ivo Van Hove, où le fait de filmer le public m'apparaissait comme de la paresse. Aujourd'hui, j'y vois de la lassitude, lassitude d'un théâtre qui, depuis combien d'années, s'échine à démonter le réel, à montrer les dangers de la peur et du replis vers un nationalisme cynique alors que l'institution culturelle s'échine à cliver en ne proposant aucun accompagnement mais en proposant des actions culturelles souvent brutales et en faisant de la programmation à focus.

Que penser du "focus moyen-orient" inscrit dans le programme de ce festival d'Avignon ? Que faut-il comprendre ? Sommes-nous encore dans ces expositions de sauvages ramenés par la force à Paris comme faisant état de nos colonies ?

Quelle est cette politique culturelle ? Et que dire de cette presse/critique culturelle qui quitte Angélica Liddell au premier entracte, manifestant ainsi qu'elle s'en fout, qu'elle se contente de donner son avis vite fait mal fait pour que le public aille consommer en connaissance de cause.

Il arrive à Claude Régy de dire qu'il faudrait supprimer le festival d'Avignon ainsi que toutes les maisons de la culture durant quelques années pour tout réinventer, inventer des foyers d'imagination, des lieux de liberté pour l'imagination.