En 1991, David Cronenberg adapte, grâce à une production britanniquo-canado-américano-japonaise, le roman de William Burroughs « Le festin nu », livre écrit sous l'influence de drogues dans les années 50 à Tanger et publié pour la première fois à Paris en 1959. Dans ce film et dans ce livre, William Lee glisse d'un personnage à l'autre et d'une réalité à l'autre, il détaille sa vie sur des machines à écrire qui deviennent des créatures vivantes, insectes et orifices chez Cronenberg, qui lui prodiguent des conseils.
En 1993, le jeune metteur en scène français Ludovic Lagarde s'empare de la première pièce de théâtre du jeune romancier Olivier Cadiot, « Sœurs et frères », et fait jouer le jeune acteur Laurent Poitrenaux.
En 1996, David Cronenberg réalise « Crash », adaptation du roman de J.G.Ballard sorti en 1973. Cronenberg y poursuit sa réflexion sur une technologie usuelle qui transforme, qui métamorphose les corps et qui instaurent une fascination sensuelle, érotique. Avec « Crash », les personnages sont fascinés par les voitures accidentées et les accidents mêmes. La voiture permet une métamorphose du corps qui l'occupe, les blessures de la carrosserie et du corps après un accident deviennent les marques d'un acte vécu comme érotique.
En 1997, William Burroughs meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 83 ans.
En novembre 2016, Ludovic Lagarde adapte et met en scène le roman « Providence » d'Olivier Cadiot avec Laurent Poitrenaux.
En plus de 20ans, ce trio est devenu un immanquable au théâtre ou en littérature, ensemble ou chacun de leur côté, et Laurent Poitrenaux seul en scène sur du Olivier Cadiot et mit en scène par Ludovic Lagarde est un rendez-vous régulier.
« Providence » adapte les 4 récits du roman (règlement de compte entre un personnage et son auteur, récit d'un moment de bonheur, roman de Balzac au féminin, vieil homme qui convoque son passé pour prouver sa bonne santé mentale) pour n'en faire plus qu'un.
Laurent Poitrenaux marche ainsi dans un salon confortable et net, le sofa, le parquet lisse, les 4 enceintes en bois léger, la petite desserte avec service à thé, le miroir/écran sombre, le renfoncement qui paraît capitonné avec micro, casque et placard discret. Il marche en chemise, cravate et robe de nuit légère, il est nu pied, il fait face au public, se love sur le sofa, est agité par le texte de Cadiot, il en danse presque, les mains ballantes, la jambe arquée, le dos tordu, il renverse son thé, attrape une gorgée et appui en tordant ses doigts sur la tache accidentelle laissée sur le sofa… Il y a également deux machines audio dans ce salon, machines que l'on actionne, que l'on règle avec minutie, ou que l'on déclenche d'un simple geste : musiques, voix, enregistrements d'une vie, détails, martinets, éponge sur une toile cirée, raclement de chaise, gémissement…
L'adaptation astucieuse des 4 parties du roman en 1 monologue amène un glissement d'un personnage à un autre et d'une réalité à une autre. Cela ressemble à un cauchemar paisiblement enregistré dans la solitude de son salon.
Si je commence en m'attardant sur David Cronenberg et William Burroughs, c'est que ce dernier est évoqué à plusieurs reprises au cours du spectacle et que cette « Providence » n'est pas sans rappeler les glissements hallucinants et hallucinatoires de William Burroughs.
La mise en scène de Lagarde partage, quant à elle, cette thématique propre à l’œuvre de David Cronenberg : le rapport sensuel et obsessionnel que nous entretenons avec la technologie, rapport qui métamorphose les corps. Dans « Providence », Poitrenaux actionne, manipule, règle, déclenche ses machines. Les bandes se déroulent, le son enveloppe l'acteur qui continue de faire cliqueter ses machines à distance d'un geste. Il y a une obsession de l'enregistrement et des sons qui agissent le corps et ses émotions, il y a une sensualité de ce corps agité avec fluidité et légèreté féline, féline car instinctive et souple, alerte. La machine modifie la voix, la dédouble, ses sons guident les émotions et le corps, ses mouvements, son rythme…
La Providence c'est ce qui arrive à point nommé mais c'est également l'action par laquelle Dieu conduit les événements et les créatures vers la fin qu'il leur a assignée.
Poitrenaux, dans cette « Providence », est effectivement dans un contrôle, une tentative de contrôle, sur sa vie, ses émotions… via la technologie.
C'est un spectacle riche à la mise en scène précise. Une réflexion sur le personnage, la technologie, la solitude, la dépression…
C'est un spectacle qui arrive à point nommé.