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La culture depuis Saturne
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"Bérénice" / Angelo Jossec

"Bérénice" / Angelo Jossec

©Alban Van Wassenhove

©Alban Van Wassenhove

Et si on parlait de "Bérénice" du Théâtre des Crescite et mis en scène par Angelo Jossec ?

 

Titus c’est l’ami d’Antiochus ; Bérénice c’est l’amie d’Antiochus. Titus aime Bérénice, Bérénice aime Titus, Antiochus aime Bérénice qui fait semblant de ne pas le savoir... Titus est empereur et Bérénice est Reine et une Reine à Rome ne devient pas Impératrice. C’est ainsi, c’est comme ça. Ici-bas les Reines n’entendent pas, les rivaux se chérissent, les Empereurs sanglotent, chacun se sacrifie, mais tout le monde est sublime.

Théâtre des Crescite

 

Ce qui frappe en premier lieu, c'est la blancheur de l'espace octogonal autour duquel les gradins accueillent le public ; c'est la consigne de ne pas marcher sur le sol blanc par peur d'y laisser sa trace, un espace tout à la fois proche et interdit comme peut l'être une scène de crime que l'on croise, ça fascine, ça intrigue par pulsion de voyeurisme ou destructrice comme le mouvement d'un insecte qui s'approche d'une lumière brûlante.

Un espace comme s'il était dessiné par Saul Bass, graphique et essentiel, fait de lignes brisées, octogone comme un canon de révolver, comme un barillet faisant cliqueter ses chambres à chaque acte.

 © Alban Van Wassenhove

© Alban Van Wassenhove

Ce qui frappe en premier lieu, c'est cet espace qui tient toute la mise en scène d'Angelo Jossec en ligne de mire, en joue, en jeu. Le révolver arrive dès la première seconde, il braque le ciel, il braque les dieux, il braque le destin et la tragédie de Racine. C'est une tragédie, quelqu'un doit donc mourir. Alors à chaque fin d'acte, chaque personnage tourne autour du révolver placé au centre pour s'en saisir le premier et braquer l'autre ; chaque personnage est un assassin en son for intérieur qui menace de tuer l'autre par désespoir amoureux.

L'espace choisi est alors terriblement humain, bien loin d'un confort tragique où l'antichambre et sa poussière d'époque éloigne le public des dirigeants qui se déchirent d'amour.

Le public entoure et cerne les personnages comme la très belle musique de William Langlois, enveloppante, tout à la fois mélancolique, rassurante et inéluctable. Et comme William Langlois joue en direct depuis les gradins, l'espace est comme sous surveillance musicale, un espace oxygéné et pressurisé. 

Et dans cet espace maintenu sous pression musicale, les personnages sont suspects jusqu'à preuve du contraire et épiés, analysés par le public, cernés. Lorsque l'on cerne, on entoure un espace, on le confine ; on en saisi l'étendue exacte ; on le marque également, on le détour, on l'isole.

 © Alban Van Wassenhove

© Alban Van Wassenhove

Ce qui frappe en premier lieu, c'est cet espace associé à cette consigne de ne pas le fouler du pied. C'est une consigne bien innocente qui vise bien sûr à ne pas gâcher l'immaculé mais un spectacle commence toujours lorsque l'on entre dans la salle (l'espace donné en tout les cas) et cette consigne n'est plus si innocente : elle induit un rapport particulier à l'espace, elle donne les règles qui influenceront l'expérience du spectateur.

Le spectateur est influencé dans l'expérience qu'il aura du spectacle dès lors qu'on lui demande de se taire en entrant dans la salle (comme pour le dernier spectacle de Claude Régy, "Rêve et folie") ou qu'on ne lui demande rien.

 

En premier lieu donc, Angelo Jossec nous invite à cerner l'objet de sa mise en scène. Mais cette invitation n'est-elle pas propre au théâtre ? Aller au théâtre c'est se confronter à un espace qui a été détouré par un metteur en scène comme un peintre marquera les contours de ses visages pour les isoler du fond ; c'est tenter de saisir ce qui se trame, ce qui enfin se joue. Les comédiens, également, cernent les spectateurs et tentent de saisir l'étendue exacte de leurs humeurs.

 

Ce qui frappe finalement en premier lieu, c'est de sentir que "Bérénice" mis en scène par Angelo Jossec arrive à instaurer un rapport essentiel au théâtre, débarrassé de tout superflu. C'est un spectacle aux contours marqués dont l'espace blanc révèle au plus haut point l'apparition de ses personnages mais surtout leurs disparitions. Se regarder disparaitre, ce que le théâtre permet de cerner.